Pr Catherine Uzan & Dr Clémence Evrevin

Pitié Salpêtrière, AP-HP, Institut Universitaire de cancérologie, Sorbonne Université

 

L’ère de la théranostique a très largement modifié nos indications d’analyse oncogénétique depuis que cette dernière oriente la thérapeutique du patient.

La généralisation des analyses génétiques à visée thérapeutique au cours de ces dernières années a nécessité une évolution de l’accès à la consultation oncogénétique afin de permettre d’effectuer les tests nécessaires dans un délai compatible avec le traitement des patientes.

Par prédisposition génétique, l’on entend l’existence d’un variant pathogène (mutation) constitutionnel (présent dans le patrimoine génétique de l’individu) augmentant de manière cliniquement significative le risque de certains cancers. La présence d’un VP constitutionnel des gènes BRCA1/2 est associée à une plus grande instabilité génomique tumorale conférant une potentielle sensibilité accrue aux inhibiteurs de poly (ADP-ribose) polymérase (PARP). En 2014, un premier inhibiteur de PARP a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne en traitement d’entretien des patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire récidivant, porteuses d’un variant pathogène sur le gène BRCA1/2 (tumoral et/ou constitutionnel) et en réponse complète ou partielle à une chimiothérapie à base de platine. Depuis cette date, cette classe thérapeutique s’est imposée dans les cancers de l’ovaire en première ligne et en récidive et dans les cancers du sein métastatiques HER2-négatif avec un VP constitutionnel de BRCA1/2.

Il a fallu attendre l’essai OlympiA parut en 2021 dans le New England Journal of Medecine pour démontrer l’impact thérapeutique des inhibiteurs de PARP dans le cancer du sein localisé (1). Cette étude retrouve qu’un traitement d’entretien par Olaparib diminue de 42% le risque de récidive invasive et de décès chez les patientes atteintes d’un cancer du sein localisé HER2-négatif à haut risque avec un VP constitutionnel BRCA1/2. Ce qui implique de connaitre le statut génétique de la patiente dès la prise en charge initiale dans ces situations à haut risque de récidive…

Comment sont définies ces patientes à haut risque ?

Ce sont tout d’abord les patientes qui ont des tumeurs triple négatives (c’est-à-dire qui n’expriment ni les récepteurs aux hormones : œstrogène et progestérone, ni le récepteur HER2 sur la biopsie soit RH- HER2-) en réponse incomplète à la chimiothérapie néoadjuvante. Avant cette étude, l’indication précédemment retenue pour une consultation oncogénétique concernait les patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif avant l’âge de 50 ans. Désormais il conviendra d’analyser les gènes BRCA1/2 chez des patientes avec ce type de cancer sans limite d’âge en cas de maladie résiduelle sur la pièce opératoire après la chimiothérapie. On rappelle que la chimiothérapie néoadjuvante (devenue chimio-immunothérapie depuis l’essai KEYNOTE-522 (2)) est indiquée en cas de tumeur triple négative dès que celle-ci mesure plus de 20 mm (≥T2) ou que l’on identifie une atteinte ganglionnaire axillaire (≥N1). Mais le haut risque concerne aussi certains cancers exprimant les récepteurs hormonaux et ne surexprimant pas le récepteur HER2 (RH+ HER2-). Etaient éligibles à l’Olaparib les patientes présentant un cancer du sein RH+ HER2- avec 4 ganglions axillaires envahis ou plus (≥ pN2) pour les patientes traitées par chimiothérapie adjuvante ou en cas de maladie résiduelle après chimiothérapie néoadjuvante. On voit donc que la définition du haut risque se base souvent sur la réponse à la chimiothérapie, critère non connu au diagnostic ce qui impose que l’équipe clinique (oncologues médicaux, chirurgiens) initie le parcours en génétique le plus rapidement possible.

Avec la multiplication des indications à des analyses constitutionnelles, il a fallu inventer de nouveaux circuits de dépistage génétique théranostique afin d’absorber le volume conséquent de nouvelles patientes. Les circuits sont orientés selon l'existence ou non de critères pouvant faire évoquer une prédisposition génétique (p.ex. cancer du sein avant 35 ans, cancer du sein triple négatif avant 50 ans, critères familiaux).

Différentes solutions sont proposées qui doivent s’adapter à l’environnement de chaque hôpital.

A la Pitié-Salpêtrière, la mise en place de circuits de « mainstreaming » permet désormais aux praticiens (oncologues médicaux, chirurgiens) de prescrire une analyse génétique constitutionnelle (sur une prise de sang) dès l’annonce du diagnostic de cancer dans un contexte bien défini. Il doit s’agir d’une situation théranostique où l’identification d’un variant pathogène constitutionnel BRCA1/2 ouvre potentiellement l’accès aux inhibiteurs de PARP conformément aux critères d’éligibilité de l’essai OlympiA précédemment évoqués. Cette délégation par les onco-généticiens à une sélection de praticiens est envisageable dans le cadre d’un partenariat bien défini et implique une formation rapide et ciblée des oncologues et chirurgiens prescripteurs. Un tutoriel a été mis en place afin que les praticiens puissent remettre une information claire sur les répercussions personnelles et familiales potentielles des résultats des tests génétiques. Bien évidemment la patiente est référée en consultation d’oncogénétique en cas d’identification d’une prédisposition génétique.

D’autres centres ont mis en place un partenariat avec les anatomopathologistes pour orienter la prescription d'inhibiteurs de PARP dans les cancers du sein localisé. S'il n'y a pas de critères de prédisposition, l'équipe clinique oncologique prescrit l'analyse des gènes BRCA1/2 sur la tumeur. En cas d’identification d’un variant pathogène BRCA tumoral, la patiente est systématiquement orientée vers l’équipe d’oncogénétique. Celle-ci prescrit alors une analyse constitutionnelle ciblée sur le variant pathogène BRCA précédemment identifié au sein de la tumeur. Le défaut de ce circuit est la sensibilité moindre de l’analyse somatique pour l’identification de VP BRCA1/2, avec par conséquent un petit risque de passer à côté d’une possible indication théranostique et d’une prédisposition.

Mis à part la modification du traitement médical, le fait de connaitre précocement le statut génétique du patient requiert de discuter l’option d’une chirurgie radicale alors même que la patiente répond le plus souvent à la chimiothérapie. L’annonce de la mutation, ses conséquences, la discussion mastectomie/reconstruction alors même que la patiente est en cours d’un traitement éprouvant sont extrêmement difficiles psychologiquement. Il est essentiel de prendre le temps d’expliquer les différentes options en consultation dédiée, de laisser un délai de réflexion et de s’appuyer sur une équipe pluridisciplinaire (onco-psychologue, infirmière d’annonce, patientes partenaires) pour accompagner au mieux la patiente.

D'abord utilisée essentiellement dans le champ de la prévention et/ou du dépistage, la connaissance du statut mutationnel constitutionnel BRCA1/2 est devenu un enjeu majeur pour la prise de décision thérapeutique d’un cancer du sein localisé afin de donner accès aux patientes éligibles à une thérapie innovante.

  1. Tutt et al, Adjuvant Olaparib for Patients with BRCA1- or BRCA2-Mutated Breast Cancer.

N Engl J Med. 2021 Jun 24;384(25):2394-2405.

  1. Schmid P, Cortes J, Pusztai L, et al. Pembrolizumab for early triple-negative breast cancer. N Engl J Med 2020;382:810–821.