En septembre 2019 s’est déroulé à l'Assemblée nationale l'examen du projet de révision des lois de bioéthique. Parmi les mesures phares figure l'ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes (femmes seules ou couple homoparental).

Or, dans un avis rendu public, l'Académie de médecine a qualifié la « conception délibérée d'un enfant privé de père » de « rupture anthropologique majeure ». Elle affirmait que cette pratique n'était « pas sans risques » pour son « développement psychologique » et son « épanouissement ».
Que penser de cette position, alors même que le Comité consultatif national d'éthique et le Conseil d'État se sont prononcés en faveur d'une ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ? Est-elle «un peu datée», comme l'affirme la ministre de la Santé Agnès Buzyn, pour qui «considérer qu'il y a un lien direct entre défaut de construction de l'enfant et famille monoparentale est faux»?

Les études relatives au développement des enfants de familles homoparentales sont disponibles depuis maintenant plusieurs dizaines d'années, sur les travaux liés à l'adoption par les couples homosexuels, puis plus récemment sur les études concernant les AMP. Concernant plus spécifiquement les enfants de mères lesbiennes conçus par PMA, il existe 16 publications internationales parues entre 1997 et 2017, portant sur 9 cohortes d'enfants vivant aux États-Unis (pour 6 études), en Europe (2 études) et en Israël (1 étude). Ces cohortes étaient constituées de 12 à 283 sujets –jeunes enfants, adolescent(e)s ou adultes.

Absence d'effet de la structure familiale !

Les critères développementaux classiquement retenus dans ce type de recherches sont de plusieurs types :
- problèmes de comportements dits  « internes » (tels que dépression, anxiété, etc.), 
- problèmes de comportement envers les autres (délinquance, agression, prise de substances psychoactives, etc.), estime de soi, compétences sociales. 

Concernant les enfants issus de PMA élevés par des mères lesbiennes, le constat est celui d'une quasi-absence d'effet de la structure familiale sur le développement psychologique. Ces résultats sont similaires aux études précédentes concernant les familles homoparentales, de façon générale ou dans le cadre de l'adoption. Finalement, c'est surtout la qualité des relations au sein du couple parental, qui prédomine, dans l’évolution de l’enfant, et dans l’apparition de problèmes comportementaux et d'adaptation sociale. 

Qu'en est-il des effets de la qualité des relations intrafamiliales ? Les études semblent mettre au jour une tendance à une plus grande flexibilité et une meilleure communication au sein des familles homoparentales que dans les autres familles. 

Les études nous révèlent que les enfants pouvaient être issus soit d'un donneur anonyme, soit d'un donneur dont l'identité pourra leur être révélée à leur majorité.

- Premier constat : chez les plus jeunes, aucun lien spécifique n'est observé entre l'accès à l'information relative au donneur et des problèmes de comportement. 

- Second constat : les adolescent(e)s de familles homoparentales semblent être au courant de leur mode de conception plus tôt dans leur vie que dans les autres familles. Cette connaissance n'affecte pas leurs relations avec leurs parents.

D'une part, ces ados semblent en moyenne peu troublés par cette annonce, et d'autre part, plus on les informe jeunes, plus elles et ils semblent à l'aise pour rechercher l'information relative à leur donneur. En outre, au sein des familles homoparentales, les enfants semblent être plus soutenus pour le faire, et ils informent plus volontiers leur entourage familial de leurs démarches. Ce tableau globalement positif ne doit cependant pas faire oublier que les familles homoparentales peuvent se trouver confrontées à d'autres difficultés, en particulier en raison du rejet ou des discriminations sociales dont elles peuvent faire l'objet. 

Peut-on conclure que les spécialistes sont unanimes sur le bon développement de ces enfants ?

Malgré le consensus des études scientifiques, quelques psychanalystes continuent à afficher leurs réticences sur le devenir des enfants conçus par PMA dans des familles homoparentales.  « Ils n'accordent que peu de crédit aux études empiriques issues des champs de la psychologie du développement et des sciences cognitives, expérimentales et sociales », constate Martine Gross Sociologue dans son essai Idées reçues sur l'homoparentalité.

La psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, auteur de La Construction de la parentalité dans les couples de même sexe (PUF, 2001), note ainsi que les études publiées jusqu'ici « n'ont pas beaucoup de sens pour la psychanalyse, puisqu'il faut au moins trois générations pour se rendre compte des conséquences des 'atypies de conception' comme la PMA ou l'adoption », assure-t-elle. 

Pour son confrère Serge Hefez, « la troisième génération est l'argument massue des psys réactionnaires », le psychiatre et psychanalyste voit régulièrement des enfants de couples homosexuels en consultation. « Ce sont des enfants comme les autres, élevés comme les autres avec des parents souvent très soucieux de leur éducation", assure-t-il.

« Ce sont même plutôt des enfants très fiers de leur famille, au sens où il a fallu qu'ils combattent le regard extérieur pour être reconnus eux-mêmes dans leur vie sociale : ça crée des unités familiales très solidaires. » ajoute Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste.

Le professeur de psychopathologie Alain Ducousso-Lacaze, qui coordonne une étude sur cette question, apporte une précision supplémentaire. À une vingtaine d'enfants de 9 à 10 ans, élevés par de couples homosexuels, il a demandé de dessiner leur famille. « Tous les enfants représentent la succession des générations de manière banale : ils dessinent les grands-parents, les parents puis eux. Jamais le donneur ». Il note toutefois que « ces configurations familiales exigent des efforts de pensée peut-être plus importants que les familles classiques ». « Un peu comme dans les familles recomposées », ajoute-t-il.

Le père, un être incontournable ? 

Une hérésie pour Serge Hefez : « Cela fait déjà des décennies qu'en cas de garde alternée, chacun des deux conjoints occupe l'une des deux fonctions alternativement », contre-t-il. « Les rôles du père et de la mère se sont largement transformés, pour tout le monde », assure encore le spécialiste. Le pédopsychiatre Bernard Golse, qui a présidé le conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP) de 2005 à 2008, ne dit pas autre chose.

« Moi je remplace 'père' par 'tiers'. Il faut un tiers symbolique, même si ce n'est pas un père », a-t-il expliqué lors d’une interview sur France Info. Il insiste en outre sur le fait que dans un couple, y compris hétérosexuel, les femmes ont des composantes masculines et les hommes des composantes féminines. « Dans les couples homosexuels féminins, on envisage les deux composantes, masculine et féminine, de chacune. Il faut travailler chacune de ces composantes pour que l'enfant puisse s'en servir pour se construire », détaille le pédopsychiatre.

Dans ses études, Nanette Gartrell a beaucoup analysé la place du père pour les enfants conçus par don de sperme. Elle explique au journal le Monde que la moitié des adolescents interrogés affirment qu'ils ont « un ou des hommes qui leur servaient d'exemple, de modèle ». Ces données lui ont également permis de déterminer que « la présence ou l'absence d'un tel modèle masculin n'avait aucun impact sur leur bien-être ». Et la psychiatre de conclure que personne ne lui a jamais demandé « si les enfants avaient besoin d'un modèle féminin pour s'épanouir ».

Alors au final ?

Aujourd’hui nous n’avons aucune donnée fiable à long terme pour dire que les enfants nés par PMA dans un couple homoparental ne se développeront pas dans les meilleures conditions et inversement. Mais il semble important de souligner qu’aujourd’hui aucune alerte ne vient contredire l’idée que ces enfants, entourés d’une famille, dont le désir était fort, dont l’amour est présent, n’évoluent pas de manière équilibrée. Il faut garder à l’esprit que prime avant tout la qualité des relations intra-familiales, car c’est dans un environnement aimant et épanouissant que les enfants trouvent leur équilibre ! Alors soyons plus vigilants à la qualité de la relation, à l’implication des membres du couple, ou au désir des gens que nous rencontrons ou que nous rencontrerons demain avec l’évolution de la loi, plutôt que de s’attacher à savoir s’ils sont hétérosexuels, homosexuels ou encore une femme seule.