Docteur Elisabeth Chéreau MD, PhD

Hôpital Saint Joseph, Marseille

Hôpital Privé Marseille Beauregard

 

Le cancer du sein chez la femme jeune est défini comme un cancer survenant avant l’âge de 35 à 40 ans selon les publications. La survenue à un âge auquel personne ne s’y attend pose des problématiques complexes sur le plan thérapeutique, pronostique mais aussi émotionnel. En effet, il survient chez une patiente qui n’y est pas préparée. De fait, trop souvent, à cet âge, il existe un retard du diagnostic. L’annonce va être tout particulièrement décisive pour le vécu ultérieur et la capacité à surmonter les épreuves. Enfin, le traitement va entraîner des perturbations – parfois définitives – du statut hormonal, modifiant la contraception, la fertilité ultérieure et les projets familiaux.

  1. Généralités

D'après les données de la SEER, les patientes diagnostiquées avant 35 ans ne représentent que 2,4 % des cas de cancers du sein avec seulement 1 % de patientes atteintes avant l'âge de 30 ans.  

Traditionnellement, les cancers du sein survenant chez la femme jeune sont associés à un phénotype plus agressif et à un pronostic plus défavorable. Ils présentent plus souvent que la population plus âgée un grade élevé, des emboles vasculaires, de la nécrose et une négativité des récepteurs aux estrogènes (RE).

  1. Impact de l’âge sur le pronostic

L'âge jeune est habituellement considéré comme un facteur aggravant le pronostic des cancers du sein. Mais plusieurs facteurs viennent influencer la notion pronostique: la rareté de la maladie, le retard au diagnostic fréquent sur ce terrain, et les particularités biologiques spécifiques de ces tumeurs.

Le risque relatif de décès est majoré de 39 % chez les femmes de moins de 40 ans comparées aux femmes plus âgées (RR = 1,39 [1,34–1,35]). Ce risque augmente de 5 % pour chaque année de moins au diagnostic jusqu'à l’âge de 35 ans. Néanmoins, beaucoup des études ayant étudié l’impact de l’âge sur le pronostic sont anciennes et donc difficiles à transposer dans la pratique actuelle. En effet, le traitement proposé à ces femmes n’était pas nécessairement le traitement standard actuel, notamment en termes d’indication du traitement anti-hormonal.

  1. Bilan initial

Mammographie : Le sein est l’un des organes les plus radiosensibles. Selon un principe de précaution fondé sur les informations épidémiologiques et radiobiologiques disponibles, l’examen mammographique chez la femme jeune ne doit pas être considéré comme anodin mais ne se discute pas dans le bilan d’une lésion d’ allure suspecte.

 

IRM mammaire : l’HAS a précisé en 2010 les indications de l’IRM mammaire dans le cadre du bilan d’extension locorégionale préthérapeutique:

- En cas de discordance entre la clinique, la mammographie et l’échographie pouvant entrainer une modification de la prise en charge thérapeutique ;

- En cas de choix thérapeutiques difficiles (chirurgie oncoplastique, traitement conservateur ou mastectomie, traitement néo-adjuvant) ;

- Chez des femmes de moins de 40 ans ;

- Chez les femmes à haut risque familial de cancer du sein.  

 

Bilan d’extension : le bilan ne diffère pas de celui proposé parfois aux patientes de plus de 40 ans en fonction des caractéristiques tumorales.

 

  1. Traitements

De nombreuses études ont montré que le risque de récidive locale après traitement conservateur est d’autant plus élevé que l’âge au diagnostic est jeune.

Toute la difficulté, sera donc de proposer les traitements les plus adaptés à la tumeur en prenant garde à éviter les effets secondaires trop désagréables, et en faisant la place aux décisions partagées dans le cadre d’une information éclairée.

 

Traitement chirurgical

Les chirurgiens ne disposent pas de facteurs prédictifs de risque de récidive locale, hormis l’ âge jeune. La standardisation de la résection glandulaire est toujours délicate à définir, car elle varie en fonction de nombreux facteurs dépendants de la patiente, du sein et de la tumeur. Néanmoins, il existe un faisceau fort d’arguments pour recommander une résection glandulaire large systématique pour les femmes jeunes. La validité de la conservation mammaire reste indépendante de l’âge et obéit aux règles classiques d’obtention de marges saines.

Le traitement conservateur est donc possible chez les femmes jeunes selon les conditions optimales indispensables (recommandations de Saint Paul de Vence):

  • lésion unifocale ou résécable en monobloc ;
  • recherche de CCIS extensif attentive ;
  • exérèse rigoureusement complète (berges microscopiquement saines pour le carcinome invasif et in situ) ;
  • pas de consensus sur la taille des marges chez les femmes jeunes

 

Radiothérapie

Les protocoles ne radiothérapie ne diffèrent pas chez les patientes de moins de 40 ans. Néanmoins l’âge fait partie des facteurs qui sont pris en compte et qui peuvent faire basculer (associés à d’autres facteurs pronostiques) l’indication de radiothérapie des aires ganglionnaires ou de radiothérapie de paroi après mastectomie.

 

Traitements adjuvants

La Conférence internationale de consensus sur les traitements adjuvants des cancers du sein de Saint-Gallen de 2009 ne considère plus l'âge inférieur à 35 ans comme un facteur pronostique déterminant pour la décision de chimiothérapie, il ne doit donc pas être considéré comme un facteur indépendant devant indiquer une chimiothérapie

Néanmoins, la très grande majorité des tumeurs des femmes de moins de 40 ans présentent des critères biologiques indiquant un traitement par chimiothérapie (grande taille tumorale, tumeurs de grade III, envahissement ganglionnaire, emboles vasculaires péritumoraux, tumeurs de type basal ou triple-négatives)

Il n’existe pas de recommandations particulières sur le protocole de chimiothérapie en fonction de l’âge.

Le tamoxifène reste le traitement standard (cinq à dix ans) si il existe une expression des récepteurs hormonaux chez ces patientes non ménopausées.

Les patientes seront informées du risque tératogène potentiel. Un traitement par les analogues LH-RH en complément du tamoxifène peut se discuter dans certaines situations.

  1. Oncogénétique

Une analyse génétique chez une femme jeune peut être demandée :

  • Devant une histoire familiale de cancer du sein ou de l'ovaire
  • En dehors d'une histoire familiale :
    • chez une femme de moins de 35 ans ;
    • en cas de tumeur triple-négative (< 50 ans) ;
    • en cas de forte présomption de mutation BRCA pour discuter des options chirurgicales (traitement conservateur ou radical, mastectomie prophylactique controlatérale, reconstruction) ;
  1. Préservation de la fertilité

La fertilité peut être gravement affectée lors de la prise en charge. D’une part du fait de la toxicité ovarienne des chimiothérapies pouvant entraîner une ménopause très précoce, mais aussi lorsqu'un traitement hormonal est prescrit car il impose de retarder la grossesse à un âge où la fertilité peut décroître rapidement.

Le risque d'infertilité après chimiothérapie est âge-, dose- et type de chimiothérapie-dépendant. L'âge est le facteur prédictif le plus important d'aménorrhée chimio-induite, les femmes de plus de 40 ans ayant un risque jusqu'à cinq fois plus important que les femmes plus jeunes. L'incidence de l'aménorrhée chimio-induite est très variable dans la littérature (29 à 93 % avec une chimiothérapie à base d'anthracyclines sans taxanes ; 17 à 93 % avec assiciation anthracyclines et taxanes).

Toute femme jeune doit être informée avant chimiothérapie sur :

– les effets des traitements sur la fertilité ;

– le report éventuel de projet de grossesse ;

– les possibilités de prise en charge en médecine de la reproduction ;

Il est recommandé de mettre en place un circuit avec un centre réfèrent en médecine de la reproduction. Selon les situations, une préservation de la fertilité peut être envisagée avant les traitements adjuvants.

  1. Grossesse après un cancer du sein

Il a été démonté l’absence d’effet délétère de la grossesse sur la maladie en termes de décès ou de récidive.

Le délai pour autoriser d’une grossesse se base essentiellement sur le risque de récidive. En cas de tumeur avec des récepteurs hormonaux négatifs, le risque de récidive est plus élevé les deux à trois premières années. Pour les patientes RH positifs, l’idéal est d’attendre la fin des 5 ans de traitement anti-hormonal. Néanmoins il est possible de l’interrompre après deux ans de traitement après accord médical afin de programmer une grossesse. Dans ce cas le traitement sera repris après la grossesse.

En cas de grossesse envisagée, il est préférable de réaliser, un bilan d’ extension complet, afin de s’assurer de la rémission. La grossesse après cancer du sein ne présente aucune particularité comparée aux grossesses normales.

  1. Prise en charge psychologique

L’accompagnement psychologique est primordial chez ces jeunes patientes du fait notamment de l'importance et de la diversité des « besoins ». La nécessité de sauvegarder la vie familiale et la volonté de préserver les enfants souvent en bas âge seront une préoccupation majeure. Les symptômes si habituels, bouffées de chaleur, insomnie, fatigue, affectent gravement la qualité de vie de ces patientes et entretiennent le désarroi psychologique. Les préoccupations à propos des répercussions sur la santé sexuelle ainsi que sur la fertilité ultérieure vont être extrêmement présentes. Enfin, des problèmes liés à la formation ou l'activité professionnelle sont souvent présents également.

 

Références

  1. Prise en charge du cancer du sein infiltrant de la femme âgée de 40 ans ou moins - Oncologie (2011) 13: 703–726
  2. La femme jeune face au cancer du sein 32es Journées de la SFSPM, Strasbourg, novembre 2010
  3. Guide ALD 30 « Cancer du sein » 2010