La chimiothérapie néoadjuvante est le traitement standard des patientes présentant un cancer du sein localement avancé inopérable ou présentant une tumeur volumineuse afin de faciliter une chirurgie conservatrice. La chimiothérapie néoadjuvante diminue le stade du cancer chez la plupart des patientes. Une réponse pathologique complète au niveau de la tumeur mammaire et des ganglions axillaires est observée dans 10 à 20 % des cas voire dans 60 à 70 % des cas lorsqu’il s’agit d’un cancer avec un profil biologique très chimio sensible (triple négatif/Her2 surexprimé) (1, 2).

La diminution de la morbidité chirurgicale axillaire, en particulier du lymphœdème, est devenue un enjeu majeur du traitement des patientes atteintes d’un cancer du sein. Bien que le curage axillaire ait été pendant longtemps le traitement standard après chimiothérapie néoadjuvante, la biopsie du ganglion sentinelle (GS) permet d'épargner une chirurgie axillaire extensive chez beaucoup de ces patientes. Il faut discerner les patientes sans atteinte ganglionnaire clinique avant traitement (cN0), pour lesquelles les stratégies de désescalade sont assez consensuelles, des patientes avec atteinte ganglionnaire clinique (cN1) pour lesquelles la chimiothérapie néoadjuvante permettrait de stériliser l’aisselle en vue d’une désescalade mais avec un risque de faux négatif plus important.

 

GS chez les patientes cN0 avant tout traitement

La meilleure séquence entre chimiothérapie néoadjuvante et GS a été débattue très largement, chaque approche ayant des avantages et des inconvénients. Le principal avantage de la pratique du GS en premier serait la connaissance du statut ganglionnaire axillaire pouvant avoir des implications thérapeutiques dans les choix des traitements locorégionaux principalement lors de la radiothérapie. Le principal inconvénient concernant le prélèvement du GS après chimiothérapie serait le taux de faux négatifs générant potentiellement un risque de sous traitement avec un moins bon contrôle local de la maladie.

L’essai français multicentrique GANEA qui a évalué la biopsie du GS après chimiothérapie néoadjuvante chez 195 patientes porteuses d'un cancer du sein T0/T3, a rapporté des taux d'identification du GS et de faux négatifs acceptables respectivement de 90 % et 11,5 % (3). Ces taux sont concordants avec une multitude de méta analyses publiées sur le sujet et ne sont pas moins fiables que les taux retrouvés en cas de biopsie du GS en dehors de tout contexte néo adjuvant (4).

La réalisation du GS après chimiothérapie permettrait de réduire le risque de curage axillaire grâce à la stérilisation de métastases ganglionnaires infracliniques (correspondant à 25 30% des patientes cN0). Dans l’étude de population de Van der Heiden-van der Loo et al., la biopsie du GS chez des patientes cN0 avant chimiothérapie néoadjuvante (N=980) a été comparée à la biopsie du GS après chimiothérapie néoadjuvante (N= 203) (5). Les taux de curage axillaires étaient inférieurs de 11% chez les patientes qui avait eu la biopsie du GS après chimiothérapie (65% versus 54% p=0.001).

GS chez les patientes cN1 avant tout traitement

Le statut du GS chez les patientes cN1 qui obtiennent une réponse clinique complète ycN0 après chimiothérapie varie en fonction des caractéristiques biologiques du cancer du sein. Les premières études évaluant la biopsie du GS dans ce contexte ont révélé des taux de faux négatif importants supérieurs à 25 % contre indiquant la technique (6).

Depuis, trois essais prospectifs observationnels ACOSOG 10-71, SENTINA, SN FNAC, ont rapporté des données complémentaires plus favorables (7-9). Ces trois études avaient des designs sensiblement différents mais toutes ont évalué la biopsie du GS chez des patientes cN1 qui obtenaient une réponse clinique ganglionnaire (ycN0) après chimiothérapie. Les principales conclusions de ces essais convergeaient vers la faisabilité du GS après chimiothérapie néoadjuvante moyennant certaines règles optimisant la stratégie : (1) l'utilisation d'un double traceur lymphatique (2) l’identification de plus de deux GS (3) l'analyse des GS en immunohistochimie pour détecter les micrométastases (4) la réalisation d'un curage axillaire chez les patientes ypN(i+) ou au-delà.

Afin de diminuer encore davantage le taux de faux négatif du GS, différentes méthodes ont été proposées comme le marquage du ganglion métastatique avant chimiothérapie et son exérèse en association avec le GS après chimiothérapie. Plusieurs marquages ganglionnaires ont été rapportés dans la littérature comme le clip, l’implantation d’un grain d’iode radioactif ou le tatouage. De telles techniques permettraient de réduire le taux de faux négatif du GS en dessous de 5% (10).

Lors de leur dernière rencontre en 2017, les experts de l’ESMO et Saint Gallen ont validé la biopsie du GS chez des patientes ayant une stérilisation de l’aisselle après chimiothérapie néoadjuvante moyennant au minimum 3 GS négatifs prélevés(11).

 

Conclusion

La biopsie du GS après chimiothérapie néoadjuvante chez les patientes cN0 est validée de façon consensuelle. Elle sera à privilégier par rapport à une biopsie du GS avant chimiothérapie dans une logique de désescalade axillaire. Chez les patientes cN1 les résultats des études prospectives observationnelles et des recommandations européennes vont en faveur de la faisabilité du GS en cas de suspicion de stérilisation de l’aisselle. Les conditions précises de mise en œuvre en France n’ont pas été encore définies, limitant son application en routine. Un nouveau paradigme de la chimiothérapie néoadjuvante est en train d’apparaitre. Dans un avenir proche, le champ d’indications de la chimiothérapie néoadjuvante pourra être élargi aux patientes cN1 en vue d’une désescalade axillaire, et ce d’autant que le profil tumoral est chimio sensible (triple négatif ou her2+) laissant présager une probabilité importante de stérilisation de l’aisselle. La prise en charge de l’aisselle devient de plus en plus personnalisée et doit tenir compte de la biologie tumorale.

Références
1: Rubio IT. Sentinel lymph node biopsy after neoadjuvant treatment in breast cancer: Work in progress. Eur J Surg Oncol. 2016 Mar;42(3):326-32.
2: Baselga J, Bradbury I, Eidtmann H et al. Lapatinib with trastuzumab for HER2-positive early breast cancer (NeoALTTO): a randomised, open-label, multicentre, phase 3 trial. Lancet. 2012 Feb 18;379(9816):633-40.
3 : Classe JM, Bordes V, Campion L et al. Sentinel lymph node biopsy after neoadjuvant chemotherapy for advanced breast cancer: results of GS et Chimiotherapie Neoadjuvante, a French prospective multicentric study. J Clin Oncol. 2009 Feb 10;27(5):726-32.
4: Tan VK, Goh BK, Fook-Chong S, Khin LW et al. The feasibility and accuracy of sentinel lymph node biopsy in clinically node-negative patients after neoadjuvant chemotherapy for breast cancer--a systematic review and meta-analysis. J Surg Oncol. 2011 Jul 1;104(1):97-103.
5 : van der Heiden-van der Loo M, de Munck L, Sonke GS et al. Population based study on sentinel node biopsy before or after neoadjuvant chemotherapy in clinically node negative breast cancer patients: Identification rate and influence on axillary treatment. Eur J Cancer. 2015 May;51(8):915-21.
6: Shen J, Gilcrease MZ, Babiera GV et al. Feasibility and accuracy of sentinel lymph node biopsy after preoperative chemotherapy in breast cancer patients with documented axillary metastases. Cancer. 2007 Apr 1;109(7):1255-63.
7 : Boileau JF, Poirier B, Basik M, Holloway CM et al. Sentinel node biopsy after neoadjuvant chemotherapy in biopsy-proven node-positive breast cancer: the SN FNAC study. J Clin Oncol. 2015 Jan 20;33(3):258-64.
8 : Boughey JC, Suman VJ, Mittendorf EA et al. Sentinel lymph node surgery after neoadjuvant chemotherapy in patients with node-positive breast cancer: the ACOSOG Z1071 (Alliance) clinical trial. JAMA. 2013 Oct 9;310(14):1455-61.
9 : Kuehn T, Bauerfeind I, Fehm T et al. Sentinel-lymph-node biopsy in patients with breast cancer before and after neoadjuvant chemotherapy (SENTINA): a prospective, multicentre cohort study. Lancet Oncol. 2013 Jun;14(7):609-18.
10:Caudle AS, Yang WT, Krishnamurthy S et al. Improved Axillary Evaluation Following Neoadjuvant Therapy for Patients With Node-Positive Breast Cancer Using Selective Evaluation of Clipped Nodes: Implementation of Targeted Axillary Dissection. J Clin Oncol. 2016 Apr 1;34(10):1072-8.
11: Curigliano G, Burstein HJ, P Winer E, Gnant M et al. De-escalating and descalating treatments for early-stage breast cancer: the St. Gallen International Expert Consensus Conference on the Primary Therapy of Early Breast Cancer 2017. Ann Oncol. 2017 Aug 1;28(8):1700-1712.