Séverine GUIU1,2, William JACOT1,2

  1. Service d’Oncologie Médicale, Institut du Cancer de Montpellier
  2. IRCM INSERM Unité 1194, Université de Montpellier 

Environ 75% des cancers du sein sont hormono-dépendants. Le tamoxifène administré pendant 5 ans a longtemps été le traitement standard en situation adjuvante quel que soit le statut ménopausique, permettant une réduction significative du risque de récidive et de mortalité par cancer du sein à 15 ans de 39% et 30% respectivement (1). Par la suite, les femmes ménopausées ont pu bénéficier d’un traitement par inhibiteur d’aromatase (IA), administré seul ou de façon séquentielle avec le tamoxifène pour une durée totale de 5 ans, permettant de diminuer le risque de récidive avec, dans certaines études, une amélioration modeste de la survie globale (SG) (2).

La moitié des récidives survenant 5 à 15 ans après le diagnostic malgré cette hormonothérapie adjuvante (1), plusieurs études ont posé la question de la durée optimale de ce traitement. Dans l’étude MA.17, le létrozole administré 5 ans après 5 ans de tamoxifène chez les femmes ménopausées a montré une amélioration significative de la survie sans récidive (SSR) à 4 ans (93% vs 87%, p<0,001) (3) et une augmentation de la SG en cas d’atteinte ganglionnaire (HR=0,61 ; IC95% 0,38-0,98 ; p=0,04) (4).

Trois études publiées entre 1996 et 2001 n’ont pas permis de démontrer un bénéfice en survie de la prolongation d’un traitement par tamoxifène au-delà de 5 ans, certainement du fait d’un suivi trop court mais également car cette étude s’adressait à des patientes avec des tumeurs de bon pronostic (< 2 cm, sans atteinte ganglionnaire) (5-7). Deux de ces essais étaient même considérés comme délétères (5, 6). Deux autres études présentées plus récemment, dans lesquelles les patientes étaient randomisées entre 5 ans et 10 ans de tamoxifène adjuvant, mettent en évidence un bénéfice en survie d’un traitement prolongé (8, 9). Dans l’étude ATLAS (Adjuvant Tamoxifen: Longer Against Shorter), chez 6846 patientes essentiellement ménopausées, la prolongation du traitement à 10 ans permet une réduction de la mortalité par cancer du sein à 15 ans (15% vs 12,2%, p=0.01) et une diminution du risque de récidive (25,1% vs 21,4%, p=0.002). Dans cette étude, 47% des patientes avaient une tumeur de moins de 2 cm et 47%, une atteinte ganglionnaire. L’analyse en sous-groupes n’a pas permis de mettre en évidence de sous-groupe qui tirerait le plus de bénéfice d’une telle prolongation (8). Dans l’étude aTTom (Adjuvant Tamoxifen-To offer More?), avec 6953 patientes incluses (61% avec statut RE inconnu), on observe une diminution du risque de récidive avec un gain absolu de 4% à 15 ans (28% vs 32%, p=0,003) (9). Les taux de décès liés au cancer du sein ne sont pas significativement différents (21% vs 24%, p=0,06) (9). En revanche on constate une augmentation non négligeable du risque de cancer de l’endomètre (2,9% vs 1,3%, p<0,0001) et de décès par cancer de l’endomètre (1,1% vs 0,6%, p=0 ,02) (9). Dans une méta-analyse publiée en 2014 et regroupant l’ensemble de ces études, le bénéfice de la prolongation du tamoxifène au-delà de 5 ans ne semble significatif que chez les patientes pN+ (10). Par ailleurs, les excellents résultats de survie à long terme chez les femmes non ménopausées ayant reçu 5 ans de tamoxifène sans chimiothérapie dans l’étude SOFT [84,9% de tumeurs <2cm, 91,9% de grades 1-2), 9,3% pN+] laissent penser que ce traitement est suffisant dans cette situation (95,8% de survie sans cancer du sein à 5 ans, 98,6% de survie sans récidive à distance à 5 ans) (11).

Par la suite, la question de la prolongation de l’hormonothérapie adjuvante par IA (après traitement par IA) a été posée et a été l’objet de nombreuses études :

  1. Dans une étude réalisée chez 1918 patientes (90% pT1-T2, 46% pN0), la prolongation du létrozole à 10 ans (versus 5 ans) permet une amélioration de la survie sans maladie (SSM) à 5 ans (95% vs 91%, HR=0,66, p=0,01) (12). Cette prolongation permet surtout une diminution du risque de cancer controlatéral (1,4% vs 3,2%), sans effet sur la SG et avec une augmentation des risques, notamment osseux. La diminution du risque de récidive à distance est faible (4,4% vs 5,5%) (12).
  2.  Dans une étude réalisée chez 1824 patientes, il n’y a pas de bénéfice en SSM ni en SG de la poursuite d’un traitement par létrozole 5 ans (versus 2,5 ans) après 5 ans d’hormonothérapie adjuvante (par tamoxifène, IA ou schéma séquentiel) après un suivi médian de 6,6 ans (13). Dans cette étude, seulement 25% des patientes étaient pN0, 68% avaient reçu une chimiothérapie adjuvante. Seule l’incidence d’un second cancer du sein est diminuée de façon significative avec une prolongation à 5 ans (p=0.01). L’analyse en sous-groupes ne permet pas d’identifier un sous-groupe particulier qui bénéficieraient le plus d’une prolongation à 5 ans versus 2.5 ans.     
  3. Dans une 3ème étude portant sur 1860 patientes, dont 2 /3 étaient pN+ et 75% RE+ et RP+, après un suivi médian de 4,2 ans, donner un IA 6 ans versus 3 ans après 2-3 ans de tamoxifène n’améliore pas la SSM (14). L’analyse en sous-groupes met en évidence une amélioration de la SSM en cas d’atteinte ganglionnaire et de tumeur RE et RP+ (facteurs de stratification).
  4. Une 4ème étude a également échoué à montrer un bénéfice en SSM avec 5 ans de létrozole après 5 ans d’hormonothérapie incluant un IA (15).

Suite à l’ensemble de ces résultats, se pose la question de la durée mais également du schéma de traitement optimal. Les bénéfices (modestes) de la prolongation de l’hormonothérapie doivent être mis en balance avec les effets secondaires (asthénie, troubles vasomoteurs, de l’humeur, musculo-squelettiques et osseux) pouvant altérer la qualité de vie des patientes. Il n’y a actuellement aucun biomarqueur validé pour distinguer les tumeurs à risque de rechute tardive qui pourrait nous aider dans notre décision. Il paraît donc légitime de proposer une prolongation de l’hormonothérapie chez les patientes à plus fort risque de récidive selon les critères habituels (âge, taille, prolifération, emboles vasculaires et surtout atteinte ganglionnaire). En cas de prolongation par IA, la durée optimale semble être de 2-3 ans après un traitement de 5 ans comprenant déjà un IA et de 5 ans si la patiente a  reçu 5 ans de tamoxifène (MA-17). La décision doit cependant être prise au cas par cas, après discussion avec la patiente et en réunion de concertation pluridisciplinaire.

 

Références

1.  Early Breast Cancer Trialists' Collaborative G, Davies C, Godwin J, Gray R, Clarke M, Cutter D, et al. Relevance of breast cancer hormone receptors and other factors to the efficacy of adjuvant tamoxifen: patient-level meta-analysis of randomised trials. Lancet. 2011;378(9793):771-84.
2. Early Breast Cancer Trialists' Collaborative G. Aromatase inhibitors versus tamoxifen in early breast cancer: patient-level meta-analysis of the randomised trials. Lancet. 2015;386(10001):1341-52.
3. Goss PE, Ingle JN, Martino S, Robert NJ, Muss HB, Piccart MJ, et al. A randomized trial of letrozole in postmenopausal women after five years of tamoxifen therapy for early-stage breast cancer. The New England journal of medicine. 2003;349(19):1793-802.
4.  Goss PE, Ingle JN, Martino S, Robert NJ, Muss HB, Piccart MJ, et al. Randomized trial of letrozole following tamoxifen as extended adjuvant therapy in receptor-positive breast cancer: updated findings from NCIC CTG MA.17. Journal of the National Cancer Institute. 2005;97(17):1262-71.
5.  Fisher B, Dignam J, Bryant J, Wolmark N. Five versus more than five years of tamoxifen for lymph node-negative breast cancer: updated findings from the National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project B-14 randomized trial. Journal of the National Cancer Institute. 2001;93(9):684-90.
6. Stewart HJ, Prescott RJ, Forrest AP. Scottish adjuvant tamoxifen trial: a randomized study updated to 15 years. Journal of the National Cancer Institute. 2001;93(6):456-62.
7. Tormey DC, Gray R, Falkson HC. Postchemotherapy adjuvant tamoxifen therapy beyond five years in patients with lymph node-positive breast cancer. Eastern Cooperative Oncology Group. Journal of the National Cancer Institute. 1996;88(24):1828-33.
8.  Davies C, Pan H, Godwin J, Gray R, Arriagada R, Raina V, et al. Long-term effects of continuing adjuvant tamoxifen to 10 years versus stopping at 5 years after diagnosis of oestrogen receptor-positive breast cancer: ATLAS, a randomised trial. Lancet. 2013;381(9869):805-16.
9.  Gray RG HKea. aTTom: Long-term effects of continuing adjuvant tamoxifen to 10 years versus stopping at 5 years in 6,953 women with early breast cancer. Journal of clinical oncology : official journal of the American Society of Clinical Oncology. 2013;31sl; abstr 5.
10. Al-Mubarak M, Tibau A, Templeton AJ, Cescon DW, Ocana A, Seruga B, et al. Extended adjuvant tamoxifen for early breast cancer: a meta-analysis. PloS one. 2014;9(2):e88238.
11. Francis PA, Regan MM, Fleming GF, Lang I, Ciruelos E, Bellet M, et al. Adjuvant ovarian suppression in premenopausal breast cancer. The New England journal of medicine. 2015;372(5):436-46.
12. Goss PE, Ingle JN, Pritchard KI, Robert NJ, Muss H, Gralow J, et al. Extending Aromatase-Inhibitor Adjuvant Therapy to 10 Years. The New England journal of medicine. 2016;375(3):209-19.
13.  Blok EJ, Kroep JR, Meershoek-Klein Kranenbarg E, Duijm-de Carpentier M, Putter H, van den Bosch J, et al. Optimal Duration of Extended Adjuvant Endocrine Therapy for Early Breast Cancer; Results of the IDEAL Trial (BOOG 2006-05). Journal of the National Cancer Institute. 2018;110(1).
14. Tjan-Heijnen VCG, van Hellemond IEG, Peer PGM, Swinkels ACP, Smorenburg CH, van der Sangen MJC, et al. Extended adjuvant aromatase inhibition after sequential endocrine therapy (DATA): a randomised, phase 3 trial. The Lancet Oncology. 2017;18(11):1502-11.
15.  Mamounas EP P BH, Lembersky BC C et al, editor A randomized, double-blinded, placebo-controlled, clinical trial of extended adjuvant endocrine therapy with letrozole in postmenopausal women with hormone receptor positive breast cancerwho have completed previous adjuvant therapy with an aromatase inhibitor: results from NRG oncology /NSABP-B42  San Antonio Breast Cancer Symposium; 2016; Texas, US.