Auteurs : Pauline Chauvet1,2, Sabrina Madad-Zadeh1,2, Adrien Bartoli2, Lilian Calvet2, Michel Canis1,2, Nicolas Bourdel 1,2

Introduction

Si l’intelligence artificielle (IA) en médecine fait le buzz ces dernières années, il est parfois difficile de s’y retrouver, et de voir clairement quelles sont les avancées, les bénéfices réels ou potentiels pour médecin et patients.

Qu’est-ce que l’IA ? L’intelligence artificielle est née dans les années 1950 avec comme objectif de faire produire des tâches humaines par des machines mimant l’activité du cerveau. Ce champ de recherche est transversal, et implique de nombreuses disciplines, de l’informatique aux sciences cognitives en passant par les mathématiques, et les sciences médicales.

L’IA s’appuie sur deux grandes approchent :

  • L’approche dite symbolique, qui permet le développement d’outils capables de reproduire les mécanismes cognitifs d'un expert. L’objectif peut être par exemple, non pas de remplacer le médecin, mais de l’épauler et l’aider dans un raisonnement fondé sur des connaissances médicales dans son domaine d’expertise. La principale difficulté de cette approche est la modélisation des connaissances qui nécessite un travail approfondi avec des spécialistes du domaine concerné.
  • La 2e approche est dite numérique, est elle basée sur les données. Le système cherche des régularités et répétitions dans les données disponibles, qui doivent donc être nombreuses. Actuellement, en raison des BigData (ensemble massif de données) cette méthode est en constante évolution. Les algorithmes d’apprentissage profond (deep learning)  sont par exemple représentatif de cette méthode. Des applications de deep learning existent déjà par exemple en traitement d’images, par exemple pour repérer des mélanomes sur les photos de peau (1,2), ou bien pour dépister des rétinopathies diabétiques sur des images de rétines (3). Les difficultés de développement de ce type de système sont qu’il nécessite de très nombreuses données.

Ou en est-on en gynécologie obstétrique ?

L’IA s’est ces dernières années développée dans tous les domaines de la gynécologie-obstétrique. Nous allons ici présenter un état de lieux de l’utilisation et du développement de l’IA dans le domaine particulier de l’onco-gynécologie, afin d’en comprendre les enjeux pour l’avenir de notre profession.

Tout d’abord, concernant les possibilités de diagnostic précoce, Elias et al. (4) ont étudié en 2017 l’intérêt de l’analyse de miARN circulant pour permettre le diagnostic précoce de néoplasie épithéliale de l’ovaire. Ils ont utilisé un algorithme analysant des données issues de 454 patientes. Ils ont mis en évidence dans ce travail la validation de l’utilisation de ce modèle, avec de bons résultats (valeur prédictive positive de 91,3% (95% CI: 73,3-97,6%), et négative de 78,6% (95% CI: 64,2-88,2%)), ce qui par exemple surpasse l’utilisation du marqueur CA-125, et ce quel que soit l’âge de la patiente, son histologie ou même le stade de la pathologie néoplasique.

Au niveau évaluation pronostique, les travaux se développent également de plus en plus. On peut citer par exemple une étude récente de Obrzut et al (5). ayant étudié divers modèles permettant de prédire la survie à 5 ans chez les patientes ayant subi un traitement radical chirurgical pour une néoplasie du col. Dans ce travail, les auteurs ont analysé 23 types de données (caractéristiques démographiques, tumoral, et anamnèse péri-opératoire), issues de 102 patientes avec néoplasies cervicales classées stage IA2-IIB, ayant bénéficié d’un traitement chirurgical premier. Les résultats obtenus montrent qu’avec les algorithmes les plus adaptés, des taux prédictifs de bonne qualité sont retrouvés (fiabilité de 0,892 and sensibilité de 0,975). Dans le même état d’esprit, dans le travail de Kirgiou et al. (6) des algorithmes d’IA ont été développés pour être utilisés comme score de décision clinique pour les femmes atteintes de néoplasie intraépithéliale cervicale (CIN). Ils ont utilisé des données de biomarqueurs liés à l’HPV (ARNm E6 et E7, et p16INK4A) ainsi que des résultats colposcopiques de 2.267 femmes. En comparaison à l’analyse cytologique classique, l’utilisation de l’IA avait une sensibilité et spécificité de 93% et 99%, respectivement, pour la prévision de CIN2 (16), suggérant un potentiel énorme pour améliorer les soins aux patients (6). Concernant toujours les pathologies cervicales, Bogani et al. ont analysé récemment en 2018 la capacité de prédiction du risque de persistance de la dysplasie cervicale ou de récidive. Ils ont donc utilisé des données de plus de 5000 patientes, et les résultats sont en faveur de certains génotypes d’HPV en corrélation avec un risque accru de dysplasie cervicale persistante et/ou de récidive après traitement. Ces données pourraient être utiles pour le conseil des patients, ainsi que pour la mise en œuvre et le développement de nouveaux programmes de vaccination (7). Toujours en colposcopie, plusieurs études se sont intéressées aux nombreuses images facilement accessibles au cours de ces examens, qui sont donc des sources facilement accessibles de Big Data. Des algorithmes de DeepLearning ont été développés pour la reconnaissance et l’analyse automatisées de ces images (8–10). Par exemple, Simoes en 2014 retrouvent des résultats avec une fiabilité de 72%, une sensibilité de 70%, et spécificité de 68% (10). Ces données et les précisions de ces analyses méritent bien sûr d’être renforcées à l’avenir, mais les résultats existants dans ce domaine sont prometteurs.

Dans la pathologie du sein, de nombreux algorithmes d’IA ont également été développés, notamment en terme d’analyse d’images automatisée (11)(12), mais aussi en terme d’évaluation pronostique (13), et d’aide à la décision thérapeutique (14,15).

L’utilisation des procédures d’IA en chirurgie gynécologique n’est encore que très anecdotique, puisque les quelques travaux publiés sur le sujet ne se sont intéressé pour l’instant qu’à la détection automatique de la présence ou l'absence de certaines structures anatomiques dans une image cœlioscopique, et la reconnaissance de la procédure chirurgicale en cours (16,17). Il est pourtant maintenant évident que les procédures utilisant l’IA, le deep learning et la Réalité Augmentée feront partie du futur de tout chirurgien gynécologue, avec le développement de système d’aide à la chirurgie guidés par l’image, tel que le système développé dans notre équipe (18–21). Le chirurgien pourra ainsi être guidé en temps réel afin par exemple de respecter les marges saines autour de la tumeur (avec un bénéfice potentiel majeur sur la survie des patients), afin d’utiliser plus facilement la chirurgie mini-invasive et respecter les structures anatomiques (artère utérine, uretère etc), avec un bénéfice potentiel majeur pour la morbidité et la mortalité post-opératoire. La chirurgie, et plus spécifiquement la chirurgie cœlioscopique, mettent également à disposition des images d’interventions chirurgicales extrêmement nombreuses, permettant donc la constitution de BigData. Le DeepLearning en chirurgie cœlioscopiques est donc également en développement, et les premiers travaux dans ce domaine concernant une analyse de plus de 400 images issues d’intervention chirurgicales coelioscopiques gynécologiques (22) montrent des résultats satisfaisants (fiabilité de la segmentation d’organes de 84,5%, 29,6% et 54,5% pour respectivement utérus, ovaires et instruments chirurgicaux, et détection automatique des structures fiable à 97%, 24% et 86% pour utérus, ovaires et instruments). Ceci signifie que ces algorithmes permettent à des logiciels de reconnaître de façon fiable différentes structures anatomiques sur des images cœlioscopiques standard. Ces résultats sont donc prometteurs, et de nombreuses pistes de recherche s’offrent sur ces sujets, car la reconnaissance des organes nobles au cours d’intervention chirurgicales pourrait être d’une grande aide pour des chirurgie complexes, notamment pour des chirurgiens novices, pour lesquels la localisation précise de l’uretère, ou d’autres structures anatomiques, vasculaires notamment, serait bénéfique.

Dans le domaine médico-économique, l’IA en chirurgie pourrait également s’avérer intéressante : Tinwanda et al. ont travaillé sur un algorithme permettant de prédire la durée d’une intervention chirurgicale, basée sur l’analyse simplement des premières minutes de l’intervention cœlioscopique (22). Ce type de données pourrait permettre de préciser et d’ajuster toujours plus l’organisation au bloc opératoire (appel automatique de la patiente suivante au moment opportun, optimisation du timing de l’administration des antalgiques, aide à l’instrumentation…).

Conclusion

L’IA est un sujet d’actualité et son application dans plusieurs spécialités a été associée récemment à de grandes attentes, et à de nombreuses publications.  L’utilisation de l’IA semble être un outil prometteur en onco- gynécologie pour la résolution plusieurs défis de longue date, pour apporter une aide au médecin, à la fois dans la réflexion et la prise de décision, mais également dans la réalisation même d’actes techniques.

Utilisée à bon escient, une IA adaptée à chaque situation pour chacune des patientes pourrait permettre aussi de libérer le médecin de certaines taches nécessitant peu de valeur humaine, libérant ainsi plus de temps dédié pour la relation de soin. Les outils devront s’adapter aux besoins et aux pratiques, à la fois des médecins et des patients, afin que associés aux compétences humaines nous puissions proposer une médecine et une prise en charge globale et personnalisée pour chaque patiente.

Bibliographie

1.      Haenssle HA, Fink C, Schneiderbauer R, Toberer F, Buhl T, Blum A, et al. Man against machine: diagnostic performance of a deep learning convolutional neural network for dermoscopic melanoma recognition in comparison to 58 dermatologists. Ann Oncol. 2018 Aug 1;29(8):1836–42.

2.      Esteva A, Kuprel B, Novoa RA, Ko J, Swetter SM, Blau HM, et al. Dermatologist-level classification of skin cancer with deep neural networks. Nature. 2017 Feb;542(7639):115–8.

3.      Ting DSW, Cheung CY-L, Lim G, Tan GSW, Quang ND, Gan A, et al. Development and Validation of a Deep Learning System for Diabetic Retinopathy and Related Eye Diseases Using Retinal Images From Multiethnic Populations With Diabetes. JAMA. 2017 Dec 12;318(22):2211.

4.      Elias KM, Fendler W, Stawiski K, Fiascone SJ, Vitonis AF, Berkowitz RS, et al. Diagnostic potential for a serum miRNA neural network for detection of ovarian cancer. eLife [Internet]. 2017 Oct 31 [cited 2019 Dec 12];6. Available from: https://elifesciences.org/articles/28932

5.      Obrzut B, Kusy M, Semczuk A, Obrzut M, Kluska J. Prediction of 5–year overall survival in cervical cancer patients treated with radical hysterectomy using computational intelligence methods. BMC Cancer [Internet]. 2017 Dec [cited 2019 Dec 5];17(1). Available from: https://bmccancer.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12885-017-3806-3

6.      Kyrgiou M, Pouliakis A, Panayiotides JG, Margari N, Bountris P, Valasoulis G, et al. Personalised management of women with cervical abnormalities using a clinical decision support scoring system. Gynecol Oncol. 2016 Apr;141(1):29–35.

7.      Bogani G, Ditto A, Martinelli F, Signorelli M, Chiappa V, Leone Roberti Maggiore U, et al. Artificial intelligence estimates the impact of human papillomavirus types in influencing the risk of cervical dysplasia recurrence: progress toward a more personalized approach. Eur J Cancer Prev. 2019 Mar;28(2):81–6.

8.      Miyagi Y, Takehara K, Miyake T. Application of deep learning to the classification of uterine cervical squamous epithelial lesion from colposcopy images. Mol Clin Oncol [Internet]. 2019 Oct 4 [cited 2019 Dec 5]; Available from: http://www.spandidos-publications.com/10.3892/mco.2019.1932

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