Nous avons détaillé dans un précédent numéro de Gynéco-Online la question de la désescalade qui peut être discutée dans le cadre de la prise en charge des carcinomes canalaires in situ (CCIS) du sein (https://www.gyneco-online.com/cancerologie/prise-en-charge-des-carcinomes-canalaires-situ-une-desescalade-therapeutique-est-elle).

Les carcinomes lobulaires in situ (CLIS) sont plus rares et doivent être considérés comme une entité à part. Ils représentent 10-15% des carcinomes in situ du sein [1]. Leur prise en charge est différente de celle des CCIS et a fait également l’objet d’une désescalade significative. En effet, dans les années 1940, le CLIS était considéré comme un cancer invasif et justifiait la réalisation d’une mastectomie. En 1978, avec l’essor du dépistage et de la mammographie, il a été observé que la survenue d’un carcinome invasif du sein dans un contexte de CLIS était exceptionnelle et que la tumorectomie devait être la technique d’exérèse à privilégier [2]. L’équipe de Haagensen décrit à l’époque que la majorité des patientes présentant un CLIS ne développeront jamais de cancer invasif et qu’une surveillance clinique simple pourrait suffire [3]. En quelques décennies, le CLIS a été considéré davantage comme un marqueur de risque de cancer dans les deux seins avec un risque estimé à 1% par année de vie (jusqu’à 30%) et même 50% en cas d’histoire familiale de cancer du sein.

La revue de Wen et Brogi publiée en 2018 est particulièrement didactique pour définir la nature de ces lésions et appréhender leur prise en charge [4] . Il y est ainsi précisé que le CLIS est un facteur de risque non obligatoirement précurseur de cancer du sein, souvent découvert de manière fortuite.

Il est essentiel de différencier deux types histologiques parmi les CLIS qui imposent une prise en charge différente. Ainsi, on différencie  dans la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de 2012 [5] les CLIS « classiques », correspondant aux LIN 2 de la classification de Tavassoli (Lobular Intraepithelial Neoplasia grade 2) et les CLIS « variants » correspondant aux formes pléomorphes, florides, ou présentant une nécrose centrale, correspondant aux LIN 3 de haut grade [6].

A noter que les LIN 1 correspondent aux hyperplasies lobulaires atypiques.

Le CLIS dans sa forme classique ne peut être identifié par l’examen clinique ou la mammographie, à l’inverse de ses variants qui peuvent être diagnostiqués à la mammographie par l’apparition de calcifications avec ou sans masse associée et dont l’aspect peut approcher celui d’un CCIS.

Le diagnostic est réalisé sur une biopsie.  Lorsque le bilan d’imagerie est concordant avec l’examen histologique, la découverte d’un CLIS classique ne doit pas conduire systématiquement à une exérèse chirurgicale, et la surveillance active associée à une prévention médicamenteuse peut être proposée en option [4]. Ainsi, aux États-Unis, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN), recommande une surveillance par un examen physique tous les 6 à 12 mois et une mammographie annuelle (https://www.nccn.org), tandis que l’American Joint Committee on Cancer (AJCC) ne considère plus que le CLIS fait partie des tumeurs in situ du sein [7]. Néanmoins, en cas de diagnostic CLIS classique à la macrobiopsie, le taux de sous-estimation oscille entre 3 % et 17 %, modulé par la concordance radio-histologique. En cas de CLIS variant, le taux de sous-estimation est plus important approchant 50 % [8], c’est pourquoi dans les Recommandations pour la Pratique Clinique de 2015, le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) indique qu’en cas de CLIS diagnostiqué sur un prélèvement biopsique percutané, il est recommandé de réaliser une exérèse chirurgicale complémentaire (grade C). En cas de disparition totale du signal radiologique après macrobiopsie, et de diagnostic de CLIS classique (donc à l’exclusion des CLIS pléomorphes ou avec nécrose) une abstention chirurgicale après concertation multidisciplinaire est possible (grade C) [8]. En cas de variant identifié sur la biopsie (CLIS pléomorphe ou avec nécrose centrale), une exérèse chirurgicale est nécessaire, sans qu’on puisse statuer précisément sur le statut des marges chirurgicales à obtenir.

En cas d’exérèse chirurgicale, si les lésions de CLIS classique ne sont pas en exérèse in sano, il n’est pas utile de réaliser de reprise chirurgicale (grade C) [8]. En cas de variant, si la lésion est proche des limites de la pièce opératoire, une reprise chirurgicale est indiquée. Il faut également réaliser l’exérèse des CLIS classiques diagnostiqués sur une biopsie si l’imagerie n’est pas cohérente avec les résultats de l’examen histologique. Il n’est pas nécessaire de préciser le statut des berges pour un CLIS classique sur le compte-rendu de l’analyse anatomo-pathologique, mais celui-ci doit apparaitre en cas de variant.

En l’absence de carcinome invasif et après traitement chirurgical conservateur du sein, il n’existe pas d’indication de traitement adjuvant pour les CLIS classiques. A l’inverse, une radiothérapie complémentaire du sein est discutée en cas de CLIS variant. Les données sont peu nombreuses pour étayer cette attitude mais ils semblent néanmoins que la radiothérapie diminue le taux de récidive dans cette situation [9–11], , raison pour laquelle l'indication de radiothérapie est retenue dans certains référentiels.

Concernant la surveillance, en cas d’antécédent de CLIS, il existe un risque relatif de cancer de 4 (risque intermédiaire), une surveillance spécifique individuelle est recommandée en accord avec les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) (grade C) [8].

Références :

1.  Institut national du cancer. Prise en charge du carcinome canalaire in situ. 2015.
2. Rosen PP, Kosloff C, Lieberman PH, Adair F, Braun DW. Lobular carcinoma in situ of the breast. Detailed analysis of 99 patients with average follow-up of 24 years. Am J Surg Pathol 1978;2(3):225‑51.
3. Haagensen CD, Lane N, Lattes R, Bodian C. Lobular neoplasia (so-called lobular carcinoma in situ) of the breast. Cancer 1978;42(2):737‑69.
4. Wen HY, Brogi E. Lobular Carcinoma In Situ. Surg Pathol Clin 2018;11(1):123‑45.
5. Lakhani S, Ellis I, Schnitt S, Tan P, van de Vijver M. IARC WHO Classification of Tumours of the Breast. Fourth Edition. 2012.
6. Tavassoli FA. Lobular and ductal intraepithelial neoplasia. Pathol 2008;29 Suppl 2:107‑11.
7.  Giuliano AE, Connolly JL, Edge SB, Mittendorf EA, Rugo HS, Solin LJ, et al. Breast Cancer-Major changes in the American Joint Committee on Cancer eighth edition cancer staging manual. CA Cancer J Clin 2017;67(4):290‑303.
8. Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Les tumeurs bénignes du sein (texte court) - Recommandations pour la pratique clinique. 2015.
9. De Brot M, Koslow Mautner S, Muhsen S, Andrade VP, Mamtani A, Murray M, et al. Pleomorphic lobular carcinoma in situ of the breast: a single institution experience with clinical follow-up and centralized pathology review. Breast Cancer Res Treat 2017;165(2):411‑20.
10. Flanagan MR, Rendi MH, Calhoun KE, Anderson BO, Javid SH. Pleomorphic Lobular Carcinoma In Situ: Radiologic-Pathologic Features and Clinical Management. Ann Surg Oncol 2015;22(13):4263‑9.
11.  Khoury T, Karabakhtsian RG, Mattson D, Yan L, Syriac S, Habib F, et al. Pleomorphic lobular carcinoma in situ of the breast: clinicopathological review of 47 cases. Histopathology 2014;64(7):981‑93.