Michel CANIS
La prise en charge de l’endométriose rectale est considérée comme un challenge qui est l’objet de nombreux débats et discussions très animées. Comme souvent dans ces débats s’expriment des points de vue d’experts très contradictoires qui laissent perplexes de nombreux praticiens qui ne savent plus ce qu’il faut faire. De manière intéressante les patientes ont souvent accès à ces débats et elles sont à la fois effrayées et découragées par les informations contradictoires et par la liste tous les jours plus longues des complications qui peuvent survenir dans les suites de la prise en charge chirurgicale de cette pathologie.
es risques potentiels de cette chirurgie sont probablement l’explication de ces débats enflammés et animés. Si l’excision chirurgicale de ces lésions était simple et comportait peu de risque, il est évident que les questions ne se poseraient pas de la même manière. Ces risques introduisent la peur dans les esprits des soignants et des soignées qui oublient bien souvent que si la patiente présente des douleurs sévères non controlable par le traitement médical, l’abstention chirurgicale c’est la certitude d’une complication inéluctable : la poursuite pour des années (jusqu'à la ménopause) de la souffrance de la douleur et de l’altération de la qualité de vie des patientes alors que la gestion des complications les plus graves ne nécessite au pire que quelques semaines voire quelques mois, alors que le bénéfice clinique reste évident plusieurs années après l’intervention. La peur n’est pas bonne conseillère, les chirurgiens ne doivent pas avoir peur de ce qu’ils font, les patientes ne doivent pas voir peur de ce qui reste le seul traitement définitif de cette localisation de la maladie endométriosique.
es challenges sont nombreux !
Poser correctement les indications !
Il est évident qu’il ne faut pas opérer les patientes qui sont asymptomatiques et que la chirurgie n’est pas indispensable chez les patientes qui sont soulagées par un traitement médical, même si dans cette dernière situation, il est probable que la chirurgie sera un jour inévitable.
Mais attention l’abstention chirurgicale n’est pas sans risque. Cette abstention doit être encadrée par une surveillance soigneuse. Les lésions qui concerne le rectum sont souvent volumineuses et peuvent s’étendre latéralement risquant de compromettre la fonction urétérale ou vers le bas ce qui peut imposer la réalisation d’anastomose colo anale lors de la chirurgie rectale. L’abstention comporte aussi des conséquences qui peuvent être des complications, ainsi il s’agit d’une vraie décision thérapeutique !
Former les radiologues !!
L’évaluation de la gravité de l’atteinte digestive est un des challenge majeur, car cela permet de discuter les geste thérapeutiques et de mieux évaluer les complications aux quelles est vraiment exposée la patiente. Mais les radiologues doivent apprendre ! Il faut accepter leur courbe d’apprentissage, c’est au terme d’un à deux ans d’erreurs manifestes que les radiologues avec qui on dialogue régulièrement en leur montrant les images per opératoires sauront finalement acquérir et lire les images pré opératoires de la maladie pour évaluer correctement les lésions et finalement guider le chirurgien qui lui a initialement appris la maladie.
Il faut former les radiologues à l’endométriose, cela n’est possible que dans un échange avec les cliniciens, mais cela prend un peu de temps et un certains nombres de patientes et d’erreur.
Choisir entre shaving de la lésion et la résection rectale !
Le shaving, c’est l’excision de la maladie endométriosique de la paroi rectale sans faire l’ablation de l’organe. Une des difficultés tient au fait que la notion de shaving est employée pour définir des actes chirurgicaux en fait différents. Pour Donnez et al, le but est d’enlever la lésion sans aucun risque de plaie digestive, alors que pour d’autre l’excision peut concerner les différentes couches de la musculeuse et accepte le risque de plaie et d’ouverture de la lumière rectale, même si cette approche ne comporte pas de marges de rectum sain comme c’est le cas si l’on fait une résection de plusieurs centimètres voire décimètre de tube digestif.
Nous réalisons le traitement de l’atteinte digestive après avoir libéré le nodule de l’utérus et après avoir excisé le cul de sac vaginal postérieur. Le nodule est ainsi plus mobile ce qui permet d’obtenir la meilleure exposition pour le traitement de la lésion digestive. Nous privilégions chaque fois que cela est possible le shaving du nodule. Ce choix est basé sur les notions suivantes.
- La morbidité post opératoire immédiate en l’absence de complication semble moins importante quand il n’y a pas de résection digestive. Les patientes restent hospitalisées 48 heures, la récupération est plus rapide. Cette notion cliniquement logique doit être confirmée dans des études prospectives. Ces patientes ont les suites d’une résection vaginale partielle, elles sont plus simples que celles d’une résection rectale.
- Les troubles fonctionnels digestifs sont plus fréquents après résection digestive. Dans ce cadre une étude comparative publiée récemment, dans le groupe résection on observe une plus grande fréquence des troubles urinaires, de l’incontinence anale, de la douleur à la défécation, de la constipation sévère où à l’inverse de l’obligation d’aller à la selle plus de trois fois par jour. Ces troubles fonctionnels sont bien connus des chirurgiens digestifs. Certains comme les troubles urinaires peuvent être prévenus par une technique appropriée qui respecte les nerfs autant que possible, mais la maladie ne les respectent pas toujours et son extension peut obliger à la section d’une partie importante de l’innervation vésicale. A l’inverse les signes digestifs sont fréquents après chirurgie du rectum. Ils sont probablement plus acceptables chez les gens que l’on traite pour un cancer du colon. Ces notions doivent être confirmées dans un essai prospectif randomisé qui vient d’être initié récemment.
- Les signes fonctionnels préopératoires sont le plus souvent gynécologiques et il nous paraît plus logique de privilégier le traitement complet du vagin que certaines équipes qui réalisent une résection rectale systématique semblent « éviter » si possible.
- L’excision carcinologique de toutes les lésions n’est pas toujours réalisable dans le cadre de geste chirurgicaux qui préservent la fertilité, alors pourquoi être plus « systématique » au niveau du rectum. Bien souvent la lésion concerne aussi l’utérus, ou il n’est pas possible d’être aussi « radical » chez des femmes jeunes qui ont encore un désir de grossesse.
- Les résultats en terme de douleur sont comparables dans les deux techniques, même si il est évident que les deux groupes de patientes ne sont pas toujours parfaitement comparables.
- Le shaving peut être un traitement agressif de la lésion, bien souvent la dissection passe dans la musculeuse rectale et enlève ainsi la quasi totalité des lésions. Les lésions résiduelles sont minimes et la récidive ne paraît pas être la règle, même si les données de la littérature suggèrent que les taux de récidives sont plus élevés après shaving.
- Enfin le shaving a l’avantage de permettre un traitement effectif de patientes qui souhaitent minimiser voire éviter autant que possible le risque de complication digestive.
Mais il faut savoir :
- qu’il est des cas ou le shaving est impossible (environ 10% des cas) et la résection est inévitable, les patientes doivent être prévenues.
- que le taux de complications postopératoire précoce est proche de celui observé après résection rectale. Une revue récente de la littérature rapporte des taux de complication après résection rectale qui semblent proches de ceux rapportés par les groupes qui traitent les cancers du rectum. Cette notion est surprenante, l’âge et le terrain sont tellement différents ! Mais les cancers du rectum qui infiltrent le vagin ou qui infiltrent latéralement de manière importante ne sont pas opérés.
- Le shaving ne doit pas être réalisé au niveau du sigmoïde, où l’excision d’une partie de la musculeuse induit un taux très élevé de complication post opératoire grave.
Conclusion
L’endométriose est une maladie gynécologique bénigne. Un traitement aussi peu agressif que possible nous paraît souhaitable chez ces femmes jeunes qui souhaitent préserver leur fertilité. La résection rectale n’assure pas toujours un traitement complet des lésions digestives, et même si c’est le cas une attitude aussi agressive ne peut pas être appliquée sans conséquences sur tous les organes concernés par la maladie. Pourquoi ne pas faire une ovariectomie à tous les endométriomes de l’ovaire ou une trachélectomie quand la face postérieure du col est impliqué dans le nodule ce qui est fréquent ? Le shaving permet un traitement efficace dans la plupart des cas. Il est au mieux réalisé après mobilisation complète du nodule qui doit tout d’abord être libéré du vagin et de l’utérus. La résection digestive a une morbidité propre qui doit être réservée au cas ou elle est indispensable.
Il est important de noter que la justification du choix entre shaving et résection tient le plus souvent à la conviction du chirurgien plus qu’a une justification anatomique. Dans notre pratique l’atteinte de la musculeuse à l’échographie endovaginale ne justifie pas toujours la résection digestive. C’est pourquoi le choix définitif entre les deux techniques est fait en per opératoire en fonction de la dissection et des données de la clinique pré opératoire. Nous pensons que les études prospectives en cours et à venir doivent une méthodologie stricte qui permettra de comprendre au mieux les résultats et de comparer les séries. Il est évident qu’un geste aussi lourd ne devrait pas être basé surtout sur des convictions personnelles.
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